jeudi 5 septembre 2013

50 règles de l'Arabe littéral



Traces d’une Tradition : formes et sens.

        Al-Jurjānī (grammairien perse d’expression arabe, décédé en 1074) élabore une théorie sémantique qu’il bâtit sur les sens de la grammaire, ma‘ānī al-nahw. Il entend par ce concept toute règle, catégorie ou caractéristique, de nature morphologique ou syntaxique, qui interfère lors de la production d’énoncés sensés. L’intelligibilité d’un discours est à ses yeux le fruit d’une étrange, mais consciente, alchimie alliant connotations des mots et principes formels de la grammaire. Abstraits, ces ma‘ānī al-nahw fonctionnent comme des structures orientant la pensée et agençant les composantes lexicales véhiculées par les mots. Sans cet effet structurel, la communication se réduit à des séquences absurdes, suites amorphes de mots sans le moindre lien. Connue sous le nom de nazm (composition), cette théorie formalise la compétence syntaxique du locuteur. Celui -ci n’est-il pas une force cognitive, qui relie les mots en œuvrant sur leurs caractéristiques morphologiques et leurs traits relationnels, avant d’émettre des énoncés (les plus banals, du domaine de la vie quotidienne, ou ceux, éloquents, qui relèvent de la sphère poétique) ? 

À la lumière de cette théorie, développée il y a près de mille ans au bord de la mer caspienne, nous tentons de comprendre comment l’arabe moderne, à l’instar de toute langue dynamique, redéploie son très riche legs grammatical pour asseoir sa normativité dans des mass-média subversifs, une littérature errante et une bureaucratie vindicative. Sous le silence et la complicité de l’histoire des hautes technologies, certaines règles ont été enterrées, d’autres assouplies, les nouvelles intégrées, bénies par les langues des Puissants. Le socle pourtant est presque intact. Non sans perfidie, les tournures d’antan résistent, feignent de disparaître et resurgissent, non dans les réserves des mots en voie de disparition, mais tels des animaux de compagnie, nécessaires aux citadins esseulés. Se comptant par milliers, les nouvelles significations sont régies par ces catégories protégées et se matérialisent dans les registres de l’arabe moderne, admirable par sa capacité de tout exprimer, bien que son usage peine à s’imposer. Inéluctablement, la grammaire de ces registres modernes n’est plus celle de l’arabe de nos aïeux, quoi qu’en disent les puristes, car le Qatar du XXIe siècle n’est pas la Bassorah du IXe siècle. La seule norme, rassurante à la fois pour nos ancêtres et les insurgés, réside dans la logique combinatoire que l’esprit opère entre les unités lexicales, doublées de connotations infinies, et les formes syntaxiques les agençant à l’image du « joaillier basrien qui enfile les perles » en vue d’offrir un collier. La grammaire est pour le locuteur ce que le fil est pour cet artisan, épris de l’éclat des pierres précieuses. À l’heure de notre modernité hésitante, chaque énoncé qui désenchante notre monde-langue est une pierre précieuse.



 Destiné à ceux qui ont déjà acquis les rudiments de la grammaire arabe, cet ouvrage en réunit cinquante règles incontournables. Pour le composer, il nous a fallu faire un choix des points essentiels. S’agissant de l’immense grammaire arabe, l’arbitraire est inévitable. Guidé par notre expérience d’enseignement, nous avons essayé de réaliser un aide-mémoire synthétique qui explicite cinquante notions morphologiques et syntaxiques. Cependant, loin d’embrasser la totalité, ne serait-ce que d’un seul chapitre de cette grammaire, ou d’en constituer une méthode progressive, ce travail rappelle brièvement le volet théorique de chaque principe (dérivationnel ou syntaxique). Il en fournit des exemples tirés des registres modernes (presse, littérature, documents administratifs), dont certains ont été imaginés pour répondre aux impératifs didactiques. Les exceptions, les tournures inusitées et les constructions sibyllines ont été à dessein écartées.    

Ainsi, l’objet de cet abrégé est double : il vise d’une part à exposer brièvement l’aspect théorique d’un problème grammatical. Il propose d’autre part des exercices, à caractère répétitif et didactique, afin d’asseoir la compétence acquise. Ainsi, cet ouvrage pourrait être utilisé comme un complément aux nombreuses méthodes d’arabe. Jamais, nous n’aurons suffisamment d’Éléments permettant de savourer, dans le texte, les finesses d’al-Mutanabbī (poète arabe décédé en 965), les tournures d’une presse en plein mutation et la richesse fictive des romans, tous étonnamment ancrés dans la marche arabe vers la liberté.    

KHALFALLAH Nejmeddine

Maître de conférences

Université Lorraine, Sciences-Po, Paris.     

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